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Le gouvernement pris la main dans le sac des PSI

De peur des révélations d’un reportage de France2 sur de possibles fraudes au détachement de salariés étrangers sur le site de la COP21, le ministère du travail éteint le feu à coups de com’

PSI : prestations de service internationales

Il se prénomme, par exemple, Ilan. Il est, disons, roumain. Dans son pays il gagne 190€ par mois, quand il travaille bien sûr. Depuis 1996 des sociétés roumaines, de plus en plus nombreuses, se sont créées pour envoyer des Roumains travailler dans l’union européenne. Dans ces pays qui ont bâti un système de protection sociale essentiellement financé par des prélèvements sur les salaires, ces cotisations sociales qu’on appelle désormais des « charges qui augmentent le coût du travail et pénalisent la compétitivité ».

En allant travailler en France, Ilan touche son salaire brut roumain de 190€ augmenté, afin de respecter le SMIC français (1457€), d’une indemnité d’expatriation de 1267€. Puisqu’une directive européenne considère qu’elle ne doit pas être soumise aux cotisations sociales, son salaire net est multiplié par 9 en passant de 159€ à 1426€. De plus, ses voyages et son logement sont à la charge de son employeur, normalement. Voilà ce qui le décide à quitter ses proches pour des mois.
Arrivé en France, Ilan ne compte pas ses heures et doit travailler en prenant des risques. Mais parlant mal français et ignorant notre réglementation, il ne va rien réclamer, le salaire est bien trop attractif.

Laurent F. est ce qu’on appelle un donneur d’ordre. Il a tout intérêt à fermer les yeux sur les recours massifs aux détachements de travailleurs étrangers s’il veut que le chantier dont il a la charge soit fini à temps dans la limite de son budget. Les PSI, Prestations de Service Internationales, c’est économique.
L’indemnité d’expatriation n’étant pas soumise à cotisations, les « charges » sont divisées par 10 soit une économie de presque 670€ par mois. Et puis avec ces salariés il y a bien moins de risques de contestation, de syndicat, de grève ou de plainte à l’inspection du travail.

Astrid M. est journaliste à France 2. Elle a eu la bonne idée de vérifier la promesse des politiques qui avaient assuré la main sur le cœur et les yeux dans les yeux que les emplois liés à l’organisation de la COP21 au Bourget profiteraient à la Seine-Saint-Denis et ses 13% de chômeurs. Elle filme les camionnettes de travailleurs à la sortie du chantier et découvre sans peine qu’ils sont immatriculés en Pologne, Slovaquie, Roumanie, République tchèque. L’un d’eux, filmé en caméra cachée et flouté, déclare travailler 12h pour 70€, et Astrid calcule (bien) que ça fait 21% en dessous du SMIC.

Salariés risquant leur vie pour sauver la planète
Salariés risquant leur vie pour sauver la planète

Salariés risquant leur vie pour sauver la planète...

Myriam EK est, depuis peu, ministre du travail et de l’emploi. Elle est surtout celle qui annonce les statistiques du chômage et c’est un peu grâce à ça qu’elle a décroché ce job (9 940€ brut, logée, nourrie, choyée) que fuient les carriéristes.
Myriam démarre mal : France 2 souhaite visiblement nous démontrer qu’au moins 200 salariés d’Europe de l’Est pourvoient les emplois promis aux chômeurs du 93. L’info est reprise partout : Le Monde, Le Parisien, Le Figaro, France Info etc… Panique au gouvernement !
Laurent, ministre des affaires étrangères, s’étrangle lui aussi devant France 2. Faut dire que son ministère est maître d’ouvrage sur l’opération… Que faire pour se blanchir ?

Vite, vite : faire diligenter des contrôles express pour démontrer que l’Etat est présent et que tout va bien. L’ordre redescend en cascade : DGT => DIRECCTE => RUT => RUC => agents de contrôle sommés de bousculer leur agenda pour faire de l’affichage.
Et lorsque ce n’est pas possible ce sont la RUC de Roissy et le responsable de l’URACTI Ile-de-France qui s’y collent, histoire de leur rappeler l’époque fatigante où ils sortaient de leurs bureaux.
Des collègues d’autres département d’Ile-de-France sont également appelés en renforts pour que Le Monde puisse affirmer « que l’inspection du travail est venue, vendredi, contrôler l’ensemble de ses salariés et qu’elle n’a relevé aucune infraction au droit du travail ». Conclure un contrôle d’une société de plus de 100 salariés en une seule journée : cette incroyable efficacité n’intrigue pas les journalistes du Monde.

Des moyens plutôt que de la com’ !

Contrôler les nombreux contournements et abus de la fraude légale instituée par les PSI est difficile. Les salariés détachés sont particulièrement précaires, mobiles, soumis et à cela s’ajoutent les barrières de la langue.
Alors que ces recours sont massifs et en augmentation constante, les effectifs de l’inspection du travail sont rabotés chaque année et nous manquons cruellement de moyens : interprètes et traducteurs, système d’information national et fiable notamment.
L’inspection du travail a pour mission de faire respecter la législation du travail, pas d’alimenter ces opérations de com’ gouvernementales. Qu’attendre d’un contrôle diligenté en catastrophe le jeudi, en réaction à un reportage du mercredi et en prévision d’une conférence de presse du vendredi ?
Une équipe attendue sur place, des constats limités à ce qui veut bien être dévoilé, des déclarations de salariés non francophones traduites par leurs chefs d’équipe faute d’interprètes… Ce sera bien une veine si les agents parviennent à remonter le fil d’infractions, et certainement pas préalablement à la conférence de presse… ce qui permet d’affirmer sans ambages qu’aucune infraction n’a été relevée. Laurent et Myriam vont pouvoir (se ren)dormir sur leurs deux oreilles !

Ces réquisitions pour orchestrer un contre-feu médiatique sont une instrumentalisation, une influence extérieure indue interdite par la convention 81 de l’OIT.

Elles symbolisent aussi le choix schizophrène du pouvoir politique : tromper le grand public tout en facilitant la progression du dumping social instauré par l’union européenne.

Portfolio


Article publié le mercredi 18 novembre 2015