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Affaire Tefal : un procès très politique

Des juges assis et une hiérarchie couchée

Le procès à Annecy : après plus de 2 ans de harcèlement de la part de l’administration du travail, après une audience de 7 heures (7 heures, vous avez bien lu) pendant laquelle le tribunal, le 16 octobre dernier, a malmené notre collègue Laura Pfeiffer et protégé le procureur Éric MAILLAUD en dépit de son outrageante partialité [1]… Notre collègue risque une condamnation à 5000 euros d’amende et une inscription au casier judiciaire susceptible de l’empêcher d’exercer son métier !

Le message est clair et il faut bien le comprendre : celui qui continuera à faire son boulot malgré les pressions hiérarchiques, celui qui pour se défendre produira des pièces, celui-là sera accusé de violation du secret professionnel et menacé de ne plus pouvoir exercer. Il ne pourra compter que sur le soutien des syndicats et des collègues !

Qu’a fait l’administration du travail ?

Après avoir dézingué notre collègue en interne, elle n’a pas osé se présenter devant les magistrats et les collègues en lutte, ni à l’audience du 6 juin, ni à celle du 16 octobre 2015. Tous ceux qui ont trempé devraient être virés : Messieurs DUMONT (RUT), NICOLAS (DIRECCTE), CALVEZ (DGT adjoint) et STRUILLOU (DGT). Quant à la nouvelle ministre, elle attend que l’audience ait démarré pour envoyer un courrier aux syndicats à 14h21.

L’administration se protège, car elle n’a pas les fesses propres

Sinon pourquoi le CNIT relèverait-il l’inconséquence de la hiérarchie ? Pourquoi le responsable de l’Unité Territoriale de l’époque, Philippe DUMONT, aurait-il été muté avec privation de ses fonctions d’encadrement ? Pourquoi la protection fonctionnelle aurait-elle été accordée à Laura PFEIFFER ? En partie grâce à la mobilisation et à la lutte menée et à cause de l’ouverture sur l’extérieur, les médias…

Mais tout cela n’empêche pas l’administration de lâcher les agents de contrôle en rase campagne et de les livrer aux loups (les gros patrons puissants de leurs menaces sur l’emploi, les magistrats d’Annecy qui se tiennent les coudes), espérant sans doute s’épargner les foudres patronales (ou même en recevoir une récompense, comme DUMONT qui fait pression sur Laura PFEIFFER, qui tente de la déstabiliser, et qui place sa petite famille dans le cadre des échanges de bons services avec l’entreprise !?).

Protection bien ordonnée commence et (avec l’administration) finit par soi-même ! En conséquence, si, en cas de tempête, l’administration vous offre un parapluie, ne vous réjouissez pas trop vite, car au final, c’est pour que, elle, ne soit pas mouillée, ou pour que le vent s’y engouffre et vous emmène loin, loin, loin !!!

L’heure n’est plus à se contenter de réclamer que la Ministre parle, dénonce les attaques et défende les agents. On l’a compris : ce silence assourdissant n’est pas le simple signe d’une incompétence crasse, d’un oubli, d’une mauvaise communication.

C’est une position politique qui murit depuis longtemps, pour mettre au pas l’inspection, flinguer le service, affaiblir chaque agent en contrôle devant chaque patron.

De plus, comment continuer à faire des contrôles alors que le code est conspué en permanence par le MEDEF, Valls, Macron et les autres et la presse ? Comment continuer quand est négociée une charte de contrôle visant à réduire les moyens de l’inspection du travail ?

L’état de droit existe, l’ordre public social existe, un corps de contrôle doit faire son travail en toute sérénité. La hiérarchie devrait être le garant de l’indépendance de l’inspection du travail. Elle ne l’est pas, elle a failli.

NOUS ACCUSONS :
 Le gouvernement de vouloir délibérément casser le Code du travail et son outil de contrôle : l’inspection du travail,
 D’exposer les agents de contrôle à des risques extrêmes en les lâchant en rase campagne,
 D’avoir organisé un système où les pressions, les menaces, les sanctions sur les agents de contrôles sont de mise !

Pour preuve : demandez-vous ce qu’a fait le Ministère du travail pour que le respect du Code du travail soit assuré, pour que le corps de contrôle soit conforté dans la mission qui est la sienne, depuis les assassinats de Saussignac, depuis les suicides de nos collègues Luc et Romain…

À part mettre au pas l’inspection du travail avec la réforme RebSapin, à part multiplier les pressions en tous genres… pas grand-chose, sinon RIEN !

Pire ! Depuis les assassinats de Saussignac en 2004, l’administration ne s’est pas contentée de se taire et de ne pas soutenir les agents de contrôle. Elle a mis en place un système organisé pour casser, broyer, piétiner les missions et les agents, pour savonner la planche à l’inspection du travail et favoriser le gros patronat et les lobbies divers.

Souvenez-vous de l’assassinat de nos deux collègues le 2 septembre 2004 à SAUSSIGNAC : rien ne vient de la hiérarchie et des ministres ni pour défendre les agents et leurs missions de contrôle ni pour condamner les pratiques patronales. Au contraire, les interventions, à l’époque, des ministres Gaymard, Bussereau et Borloo montrent leur « compréhension » des difficultés du monde patronal agricole. C’est à partir de ce drame et de l’attitude inacceptable des représentants ministériels que date une défiance complète vis à vis de notre hiérarchie.
Rien ne sera plus comme avant.

Souvenez-vous des suicides de nos collègues Luc Beal Rainaldy en mai 2011 et Romain Lecoustre en janvier 2012 : L’administration rejette tout lien avec le travail. Il faudra de longues luttes pour obtenir la reconnaissance en accident de service. La défiance vis à vis de la hiérarchie s’amplifie.

Ce qui arrive à Laura Pfeiffer aujourd’hui peut arriver à chacun d’entre nous !
Depuis 6 ans, que de pressions, que de maltraitances ! Voilà le panorama :

Décembre 2009, Foire du Trône, Paris :
Le roi des forains est verbalisé pour outrage et violences, placé en garde à vue avant de reconnaître les faits devant le tribunal correctionnel. Xavier Bertrand, ancien Ministre du travail, témoigne à la barre de l’estime qu’il lui porte et reprend la direction de notre ministère quelques mois plus tard.

Septembre 2009, France Télécom / Orange : 24ème suicide à France Télécom en 1 an et demi. L’IT propose, rapport détaillé à l’appui, au directeur départemental de Paris une mise en demeure pour évaluer les risques psychosociaux. Malgré les grandes déclarations de presse de l’administration du travail, le directeur refuse et d’autres suicides suivront.

2009, Laboratoires GUINOT, Paris : Un collègue est mis en cause par l’entreprise. Non seulement la DGT lui refuse la protection juridique, contre l’avis des syndicats, mais elle le met en cause par écrit. Alors l’agent engage et remporte l’affaire contre l’entreprise devant le tribunal correctionnel. Dans la même entreprise, le ministre a cassé tous les refus de licenciement de salarié protégé pour les autoriser avant que, à chaque fois, le tribunal administratif ne donne finalement raison à l’inspecteur du travail.

2009, Tournoi Roland Garros, Paris : La Fédération Française de Tennis interpelle le ministre suite à un contrôle... de l’URSSAF… ouf ! Mais l’IT informe le Directeur du contrôle qu’il prévoit à son tour. L’information remonte de la hiérarchie parisienne au Cabinet du Ministre et les agents ont la surprise d’être accueillis au tournoi, et surtout attendus : tout, absolument tout, est en règle, chaque salarié ayant même son contrat dans la poche !

2009, pas de contrôle à la Poste !
Une note de service DGT ordonne de différer les contrôles de la nouvelle société anonyme La Poste pourtant frappée par une vague de suicides. Le Conseil d’Etat annule la note illégale à la demande de SUD-TRAVAIL. L’indépendance est sauve. 2009, fermeture de CONTINENTAL : Licenciements de plus de 1000 salariés, des suicides. Le tribunal administratif, la cour d’appel et le conseil d’Etat ont été unanimes contre le ministère : le motif économique n’était pas établi pour les 20 salariés protégés.

2010, PSA, Aulnay :
Un collègue mis en cause par l’entreprise est menacé et mis en demeure de s’expliquer par son directeur, tandis que la lettre de PSA est annotée de la main du DGT : « il semble qu’il y ait des problèmes de légalité et de déontologie dans ce dossier ». Les syndicats obtiennent de longue lutte que le DGT soutienne enfin le collègue par courrier à PSA.

2011, Amiante, Ain :
Des personnalités locales influentes mettent en cause les contrôles de chantier de désamiantage dans une série d’articles de presse. La hiérarchie silencieuse refuse un droit de réponse par voie de presse aux 8 agents concernés. Ils portent alors plainte auprès du parquet… qui classe l’affaire.

2012, Recours au BIT sur le travail des étrangers :
4 ans après la plainte du SNUTEF/FSU, le Bureau International du Travail condamne fermement les circulaires successives demandant de participer à des opérations de police des étrangers : « Inspecteurs du travail embrigadés et dirigés par d’autres fonctionnaires (…) ce qui est incompatible avec l’objectif de l’inspection du travail, (…constitue une) transgression du principe d’indépendance, vide de son sens le droit de
libre décision et la protection des sources des plaintes
"…).

Juillet 2012, Amiante, Nord Pas de Calais : Un collègue demande à l’entreprise de modifier le mode opératoire de retrait de dalles de sol dont la colle est amiantée. Le patron, par le biais de son organisation patronale (le SNED), saisit le DGT qui lui fournit un argumentaire juridique et demande à la hiérarchie locale de « ramener le collègue à la raison ». Silencieux face à l’interpellation de SUD par courrier du 29 octobre 2012, le DGT répondra de manière menaçante et juridiquement erronée à un article de l’Humanité du 21 mars 2013.

2010-2013, Affaire MARTEAU, Haute Normandie : Un collègue refuse le licenciement d’un salarié pour vice de procédure. L’employeur organise une campagne de dénigrement très médiatique et le DGT finit par autoriser ce licenciement, sans motiver et contre l’avis de la DIRECCTE, avant d’être annulé par le tribunal administratif en mai 2011. Saisi par SUD, le Bureau International du travail dénonce, le 19 mars 2013, l’absence de soutien ferme à l’autorité de l’inspection et de rappel public des obligations de l’employeur, l’entrave à l’exercice des fonctions de contrôle, et rappelle l’importance du traitement des PV de l’inspection par le juge. Silence radio de l’administration.

2011-2012, Châteauroux, Indre, des agents agressés et menacés de mort sont déplacés !
Pendant un an, des patrons agressent, menacent de mort et de violence deux collègues, estimant qu’ils « sèment un vent de panique » par leur activité de contrôle. Les syndicats luttent pour obtenir un soutien de la hiérarchie locale qui, en réponse, harcèle les collègues, entrave leur travail par tout moyen et les dénigre devant leurs collègues de la région. Après une manifestation interprofessionnelle pour les soutenir l’administration va… déplacer les agents, « dans l’intérêt du service » ! L’un d’eux n’a toujours pas pu retourner dans sa région, ses demandes répétées de mutations pour rapprochement de conjoint, lui étant toutes refusées sans motif.

Septembre 2013, Hauts de Seine : Suite à un obstacle caractérisé, un collègue recourt aux forces de police qui décident de… contrôler son identité ! Nom à consonance maghrébine et couleur de peau les avaient inspirés ! Si la hiérarchie locale fait son travail auprès des autorités de justice et de police et appuie la demande de protection fonctionnelle, le ministère ne réagira jamais à son niveau.

Septembre 2013, Doubs : Le DIRECCTE écrit à un collègue (et informe le procureur) que le PV qu’il envisage est inopportun, sous influence de délégués du personnel aux intentions malveillantes et irrégulièrement désignés. Le collègue ne cède pas et rédige un PV d’entrave tandis que le DIRECCTE défendra l’employeur !

2013, Ardennes : Un collègue propose à son directeur départemental une mise en demeure d’évaluer les risques psycho sociaux dans une entreprise qu’il a contrôlée pour harcèlement moral. Les conflits se médiatisent, l’employeur rencontre la hiérarchie locale qui confie le contrôle de l’entreprise à la supérieure hiérarchique du collègue et enterre la mise en demeure. Ce même directeur départemental se rend dans un magasin où il prévient le gérant d’une prochaine intervention du contrôleur du travail, à l’insu de ce dernier ; mais son attitude est si suspecte qu’il sera pris en photo. L’agent de contrôle le reconnaît sur la photo et informe le DGT qui n’a jamais réagi.

2014-2015, Goodyear, Amiens : Goodyear ferme son usine malgré la longue lutte des 1200 salariés. L’IT refuse les 40 licenciements de salariés protégés pour absence de motif économique : bénéfice du groupe et résultat du secteur d’activité en hausse depuis 2011, sauvegarde de la compétitivité pas démontrée. Le dossier est signalé et le DGT signe lui-même les autorisations, véritables décisions politiques, reproduisant quasi intégralement l’argumentaire de l’employeur, et donc sans base juridique !


[1Le procureur avait déclaré en mai dernier à l’Humanité que l’affaire Téfal était « l’occasion de rappeler à l’ordre et de faire le ménage » parmi les inspecteurs du travail. Il s’était déjà fait l’avocat des patrons avec le classement sans suite d’un PV sur l’abus d’intérim par la société SNR d’Annecy, invitant à l’indulgence envers l’entreprise, au nom de la crise économique. Quelques jours avant l’audience du 16 octobre, le parquet a classé sans suite à un PV établi à l’automne 2013 par la prévenue elle-même, pour entrave au fonctionnement du CHSCT de Téfal. Ambiance... Qu’attend le procureur général près de la Cour d’appel de Chambéry pour (ré)agir aux propos haineux de son subordonné tenus à l’encontre de l’Inspection, qui lui ont été signalés par le DGT par courrier du 26 mai 2015 ?


Article publié le mercredi 18 novembre 2015