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Le scénario catastrophe de l’inspection du travail spécialisée

« Il faut réformer parce qu’il faut réformer ! » (vieux dicton combrexellien)

Sans même y associer les organisations syndicales et sans consulter les instances paritaires, le Ministère a lancé des débats dans les régions puis à l’INTEFP sur la réforme du système d’inspection du travail.

Yves Calvez a juré que rien n’était décidé et qu’il n’existait aucun projet arrêté sur l’inspection du travail… Mais comment peut-on croire que sur un sujet pareil, il n’y ait pas eu d’allers-retours multiples entre la DGT et le cabinet du ministre ?

On nous parle donc réforme de l’organisation de l’inspection du travail. Mais qu’est-ce qui ne marche pas aujourd’hui ? Mystère ! On brandit alors des situations sur les prestations de service internationales, sur la fraude aux statuts ou sur l’amiante pour souligner la prétendue inefficacité des services de contrôle…

Pourquoi ne pas plutôt s’interroger sur la législation actuelle, avec cet empilement de textes et de systèmes dérogatoires ? Elle est là, la source de complexification et d’inapplicabilité de la loi.

Pourquoi les interrogations ne portent-elles pas sur la difficulté à contrôler le dumping social européen organisé par la loi, sur des dossiers aussi complexes que les détachements de salariés ?

Pourquoi les interrogations ne portent-elles pas sur l’engorgement des tribunaux, à cause des moyens dérisoires de la justice, et la faiblesse des sanctions pénales en droit du travail ?

Pourquoi les interrogations ne portent-elles pas sur l’absence de soutien technique et juridique de l’administration centrale lors de la parution de nouvelles réglementations ?

Pourquoi les interrogations ne portent-elles pas sur le silence assourdissant de la DGT lorsqu’elle est sollicitée par des agents de contrôle ?

Pourquoi les interrogations ne portent-elles pas sur la nécessité d’augmenter le nombre d’agents de contrôle de l’inspection du travail (aujourd’hui : 2400 agents pour 18 millions de salariés et 1,8 million d’entreprises) ?

Les Experts à Aurillac (sans David Caruso, mais avec Yves Calvez)

Le discours de la DGT se veut en apparence rassurant : l’inspection du travail restera généraliste. Affirmation faussement vertueuse qui dissimule de plus en plus mal la volonté de spécialisation des sections (pour rappel : il y a déjà aujourd’hui environ 200 sections spécialisées, sur les 800 existantes), mais plus encore de spécialisation des agents sur certains champs (amiante, prestations de service internationales, travail dissimulé, risque chimique « à dimension technique »), ou sur certains secteurs d’activité (BTP ou « grands comptes », par exemple).

Nous risquons donc de nous voir infliger le plan suivant :

— des unités de contrôle composées de 6 à 12 inspecteurs du travail (la réforme correspond à l’An Zéro d’une nouvelle ère de l’inspection du travail ! Pas un mot n’est dit sur les conséquences du Plan de Transformation d’Emplois et sur les situations très disparates d’un département à un autre, selon que les contrôleurs auront voulu
ou non passer l’examen professionnel et réussi ou pas…) ;

— un directeur adjoint à la tête de chacune de ces unités de contrôle. Son rôle : être responsable de l’équipe. Bienvenue à Galaswinda, darla dirladada !

— les inspecteurs « classiques » en charge un secteur de contrôle, mais aussi des IT spécialisés sur un risque ou un sujet donné. C’est là que l’IT expert, comme David Caruso dans les Experts-Miami, intervient avec ses lunettes de soleil et son Hummer : il est expert, lui, contrairement à ces blaireaux d’IT généralistes. Il arrive avec son costard sur la scène de l’infraction, il enlève ses lunettes de soleil, les remet et paf ! l’affaire est résolue.

— il y aurait aussi des unités de contrôle régionales sur le travail illégal ou l’amiante. Là, c’est un peu comme dans la mauvaise série B américaine : le FBI déboule sur le chantier de désamiantage et prend l’opération en mains. Exit les blaireaux de shérifs (en deux chevaux) que sont les IT généralistes. Laissez la place aux pros, aux vrais, quoi !

— et puis, il y aurait aussi le Groupe National de Contrôle, réservé aux agents les plus expérimentés, évidemment. Un GIGN, en quelque sorte. Les abus sur les faux statuts ou les prestations de service internationales seront liquidés ! Les patrons vont trembler. Mais bien sûr, on nous assure que l’opération se fera en coordination avec les
inspecteurs du travail localement concernés. Qui devront aller chercher les cow-boys à l’aéroport, leur filer les clefs de la Twingo de service, et rentrer avec le bus parce qu’il n’y aura plus de place dans la bagnole.

— Et enfin, la DGT envisagerait sérieusement - mais ne dévoile pas ses cartes sur le sujet, et pour cause – de remettre en cause le pouvoir de contrôle inopiné ! La règle serait à terme de prévenir l’employeur, le caractère impromptu serait réservé à des exceptions… On enverra un carton d’invitation avec coupon-réponse quand on voudra faire un contrôle !

Les risques d’une spécialisation des agents de contrôle

  • La spécialisation risque de ne concerner très majoritairement que les seuls domaines que la DGT veut faire effectivement contrôler (amiante, travail illégal), au détriment de tous les autres. Plus d’agents spécialisés c’est donc moins d’agents généralistes, dont le boulot va décupler… et être de fait bâclé (comme ça, on pourra dire que l’inspection du travail généraliste n’arrive pas à faire face, CQFD).
  • Mettre en place la spécialisation c’est faire croire que les pratiques patronales seraient spécifiques à chaque secteur d’activité. Or beaucoup d’entre elles (précarité, durée du travail…) sont transversales et les connaître permet aux agents de contrôle de faire le lien entre elles.
  • L’efficacité que l’agent gagnera peut-être… à court terme, risque d’être bien inférieure dans la durée à celle qu’il perdra en ne prenant pas en compte dans sa totalité la réalité du travail dans l’entreprise.
    L’agent spécialisé laissera de côté, dans ses contrôles, toute la réglementation du code du travail autre que celle sur laquelle il est spécialisé (par exemple, traiter la fausse sous-traitance, mais sans les CDD ou l’intérim ; traiter le risque chimique mais sans CHSCT ...).
  • Or, l’inspection du travail généraliste, c’est pouvoir contrôler l’ensemble des dispositions du code du travail et contrôler ces dispositions dans leur ensemble, c’est-à-dire veiller tout à la fois à l’application de chacune de ces dispositions, mais également à leur application simultanée et cohérente, en veillant à leurs nécessaires correspondances et incidences (par exemple entre durée du travail et contrat de travail, entre dispositions de santé-sécurité et droits du
    CHSCT , droit au reclassement et droit à la formation, droit du licenciement et prérogatives du CE, etc.).
  • Les salariés, leur vie au travail, leurs conditions de travail, leurs problèmes, seront découpés en tranches. Certaines infractions seront traitées, et de surcroît pas par les mêmes agents. Toutes les autres seront volontairement ignorées, alors qu’elles sont souvent très étroitement indissociables dans les politiques patronales d’organisation du travail.
  • La perception qu’auront les salariés et leurs représentants de l’inspection du travail sera complètement confuse (difficulté pour trouver l’interlocuteur adéquat, du fait du cloisonnement généré par la spécialisation).
  • Alors que l’agent spécialisé escomptait une efficacité accrue, il constatera que pour sa hiérarchie cela signifie surtout la possibilité de l’affecter systématiquement sur des actions prioritaires. En outre, la coordination nationale des agents spécialisés risque d’être étroitement contrôlée par la hiérarchie et de dépendre de son bon vouloir. L’autonomie de l’agent de contrôle ne sera plus qu’un lointain souvenir.
  • La spécialisation cassera ou affectera considérablement le collectif de travail de l’inspection : les activités deviendront de plus en plus cloisonnées, les échanges professionnels se réduiront à proportion. Qui plus est, une hiérarchie risque de s’instaurer entre agents généralistes et spécialisés (probablement au bénéfice de ces derniers, jugés plus « prioritaires » par la hiérarchie, avec récompense financière à la clé, des fois que la Prime de Fonction et de Résultats refasse son apparition).

Pour que chaque agent acquière et garde la maîtrise de ses outils, revendiquons :

    • Un doublement des agents de contrôle en section, aussi pour leur accorder et leur garantir le temps nécessaire à une formation régulière et à l’appropriation des textes ;
    • Une information/formation systématique des agents sur tous les nouveaux textes importants en droit du travail, avec mise à disposition de synthèses et de fiches méthodologiques, lettres et mises en demeure–types, etc… ;
    • Des guides méthodologiques, actualisés en permanence et validés, par activités professionnelles (garages, ambulances, ateliers métallurgie… cf. les anciens mémentos de contrôle), par risques ou infractions professionnelles (contrats précaires, fausse sous-traitance, discrimination, etc.) ;
    • Des appuis complémentaires de référents technique (expertise économique, procédures judiciaires, etc.).

Nous affirmons la nécessité de maintenir le caractère généraliste de l’inspection du travail dans tous ses agencements, c’est-à-dire de maintenir la dimension généraliste de chaque section territoriale (= tout le droit du travail, et toutes les branches professionnelles) et, au sein de celle-ci, de l’activité de chaque agent de contrôle.

Toute mise en place de nouvelles sections spécialisées, sous le prétexte d’une efficacité accrue – loin d’être prouvée – réduirait beaucoup plus notre capacité à répondre à la demande sociale et à protéger les droits des salariés.

Contre la mise en cause de l’inspection du travail et pour un service
public de qualité, l’heure est à la mobilisation !

Tous en grève le 27 juin

Le scenario catastrophe de l’inspection du travail spécialisée


Article publié le lundi 24 juin 2013