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Quand le livre jaune remplace le livre rouge


Ou pourquoi diable dépénaliser le délit d’entrave en droit du travail ?

« Les grands esprits se rencontrent » dit la maxime populaire. Dans le cas du droit pénal du travail, on pourrait plutôt dire que l’esprit qui anime le patronat est curieusement le même que celui qui anime le gouvernement.

À l’exemple d’une des incriminations les plus symboliques du code du travail prestement regroupée sous le vocable de délit d’entrave, et dont le président de la République vient d’annoncer ni plus ni moins la dépénalisation car «  c’est mieux qu’il en soit ainsi  [1] » .

Une argumentation de poids donc pour satisfaire à une sempiternelle revendication patronale remise récemment au goût du jour par le MEDEF et qui pourrait, promis, juré la main sur le cœur (mais seulement si toutes les conditions sont réunies et si la météo le permet), conduire à l’embauche massive d’un million (oui 1.000.000) de salariés [2] .

La proposition du Président de la République est en effet un copier/coller stupéfiant d’une des propositions avancées par le MEDEF dans son nouvel ouvrage idéologique de référence «  1 million d’emplois… c’est possible  », qualifié par ses auteurs de «  livre jaune  », appellation loin d’être anodine puisque associer une couleur au mot « livre » tend à attribuer au document visé une portée générale ou officielle.

À quoi sert l’incrimination pénale d’entrave en droit du travail ? Ces délits (car il y en a plusieurs même si le Président adepte de la synthèse n’en voit qu’un) visent à sanctionner le comportement de l’employeur qui s’opposerait à la mise en place, au fonctionnement ou aux prérogatives des instances représentatives du personnel dont la mission est justement d’assurer la représentation et la défense des intérêts collectifs des salariés.

La pénalisation des délits d’entrave revient donc à considérer que l’employeur, individuellement, doit répondre, devant le juge pénal, de la violation des droits collectifs des salariés au travers de leurs instances représentatives du personnel.

Plus pratiquement, l’employeur qui fait tout (intimidations, pressions, sanctions, mutations… l’imagination patronale est fertile) pour qu’il n’y ait pas de candidats syndiqués au 1er tour de ses élections professionnelles en vantant les « mérites » des candidats « libres » qu’il a choisi pour se présenter au second tour peut, aujourd’hui, se retrouver à s’expliquer devant le tribunal correctionnel. Celui qui refuse de répondre aux questions des représentants du personnel ou leur dissimule des informations sur la santé économique de son entreprise peut le rejoindre dans le « box » des accusés.

C’est donc parce qu’il est responsable individuellement et personnellement de ses actes que l’employeur est « incité » à respecter la loi, c’est le rôle incitatif de la sanction pénale. Si demain il lui suffit de prendre le chéquier de l’entreprise pour pouvoir marcher sur les droits collectifs des salariés, gageons qu’il ne s’en privera pas, surtout s’il puise dans le cadeau de 50 milliards d’euros (50.000.000.000… ça fait un paquet de SMIC) que le gouvernement vient de lui faire.

Cette annonce s’inscrit malheureusement dans le mouvement de transformation du rôle du code du travail mis en œuvre par ce gouvernement. D’un code protecteur des salariés, construit sur les acquis des luttes sociales et visant à compenser le déséquilibre entre le statut d’employeur et celui de salarié, il bascule vers un code assurant la « sécurité juridique » des employeurs, devenant ainsi un instrument de gestion économique de l’entreprise.

Nous demandons donc au Président de la République de cesser de céder aux sirènes patronales visant à déconstruire le droit du travail et de la protection sociale « parce que c’est mieux qu’il en soit ainsi » pour la classe ouvrière, salariée, même si cela « crée un doute » chez les investisseurs du CAC 40.


Article publié le mercredi 12 novembre 2014