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Entrez, entrez à l’INT !

Depuis le 4 septembre 2006, l’INTEFP accueille la nouvelle promo des 103 inspecteurs élèves du travail.

Comment sont-ils formés, ces futurs inspecteurs qui peupleront nos services ?

En septembre, première semaine de formation, et en octobre, au retour du premier stage en DD, c’est la préparation et la restitution du stage d’immersion. Oui, comme les premiers chrétiens se baignaient de la tête aux pieds dans le Jourdain, l’IET doit s’immerger corps et âme dans les services du ministère pendant trois semaines, c’est son baptême d’entrée.

Et que lui propose-t-on en guise de catéchisme ? De quoi lui parle-t-on la première semaine de sa formation ? Du bon docteur Villermé ? De l’amiante et ses 100 000 morts ? De l’ordre public social dont il sera le garant ? Que nenni, mais… de LOLF, de BOP, de PAP, de RAP et de gestionnaires de BOP ! Des intervenants auréolés de leur statut de DD, de DA (« vous savez, j’ai commencé comme contrôleur, puis inspecteur du travail… ») viennent les exhorter à chercher le saint Graal : « dès votre arrivée dans votre direction départementale d’accueil, TROUVEZ LES GESTIONNAIRES DE BOP !!! »… Des regards désemparés cherchent la sortie, interrogent leurs voisins : on est bien au ministère du travail ou bien on s’est trompé de concours ? « Le but du stage, ce n’est pas d’aller à l’inspection, c’est de découvrir les services, tous les services, ne passez pas plus d’un jour ou deux à l’inspection » Marginaliser l’inspection du travail au sein des directions départementales, c’est un travail de chaque instant…

Ce n’est pas tout : il faut aussi la visiter, la direction départementale, la fouiller, trouver les recoins sombres où se cachent paraît-il certains agents qui fuient la lumière et les IET : les catégories C. Il paraît qu’ils bossent : « les agents de catégorie C aussi peuvent vous apprendre des trucs sur les services » -et qu’ils peuvent même recevoir les IET avec un peu de courtoisie, sauf bien sûr lorsque ce sont des femmes : à l’inspection, les secrétaires nous dit-on sont des « mémères de section », celles de la direction sont « revêches », vous voilà prévenus. Cela dit, ne pas se froisser si le C est agressif : « Ils sentent bien que leurs métiers, leurs missions, sont en train de disparaître, avec le départ des Coto, Rédac, Cap-Sitère ; ils se rendent bien compte qu’on ne recrute plus de C, alors il y a des questionnements, un malaise, parfois de l’agressivité »

A ceux qui ne sont pas encore terrifiés par les contrôleurs et les catégories C, on tient quelques propos rassurants : « Attention ! Vous serez dans les services en tant qu’IET, c’est-à-dire un futur chef ! On va vous observer, vous jauger ! On se demandera « c’est donc ça la future hiérarchie ? » » Ce « on » indistinct, c’est bien sûr la masse informe et hostile des B et des C.

Pour parachever cette présentation biaisée des services, la première semaine est aussi riche de grands discours : le nouveau directeur de l’INT, qui s’excuse de n’être pas encore nommé, le nouveau DGT, qui vient de l’être, c’est d’ailleurs le même que l’ancien DRT qui n’aime pas le SMIC (voir TVM précédent), quelques autres sbires ministériels venus chanter les louanges de la « réforme ». Celle de l’inspection du travail, bien sûr, mais au fond peu importe : pour faire carrière, comme à la star’ac, il suffit de chanter juste et de plaire à la prod’.

A l’INT, il n’est jamais trop tôt pour commencer à faire passer les idées fausses. Au bout de dix-huit mois, il en restera bien quelque chose.

Fragments d’un discours de la réforme…L’inspection à la sauce INT
L’exception française

Thème récurrent, agité comme une menace. L’inspection « à la française » est une exception dans le monde d’aujourd’hui, qui voit partout reculer les droits sociaux. La conception anglo-saxonne est plus répandue : les missions d’inspection du travail sont confiées à diverses agences, l’une chargée de la protection de l’environnement, l’autre des questions d’hygiène et sécurité au travail, avec des ingénieurs spécialisés, des techniciens… et bien souvent personne pour contrôler le respect du droit du travail. Bref, dans cette conception, vous n’êtes pas à la hauteur et le boulot que vous faites n’est pas prioritaire. Ce qui nous est clairement dit, aussi bien de la bouche comme Combrexelle que d’honnêtes hommes comme Jean Courdouan, c’est que nous devons renoncer à cette idée d’une inspection qui contrôle un peu de tout, partout ; à défaut nous prêterions le flanc à la critique, et disparaîtrions au profit du modèle anglo-saxon.

La liberté de contrôler, pour la garder, il vaut mieux ne pas s’en servir

Autre thème fédérateur des discours servis à l’INTEFP. Il vise à faire accepter les notions de « politique travail » et de « programmes pluriannuels de contrôles ». Son argument principal est celui-ci : à quoi bon faire du bon travail si personne n’est au courant ? Il faut pouvoir afficher des résultats, c’est la LOLF qui veut ça : ainsi on pourra démontrer aux parlementaires assoupis qu’on sert à quelque chose, et peut-être persuader les patrons de continuer à payer les impôts qui nous financent… Notre administration, qui chaque jour s’excuse d’exister auprès du patronat (qui se marre bien, voir Le Figaro du 25/10/2006, éditorial, « L’échec du ministère du Travail » : « Au moment où le ministère du Travail fête son centième anniversaire, la question saute aux yeux : à quoi sert-il ? »), veut donc nous imposer de faire tous la même chose au même moment, parce que non seulement c’est plus cool, mais en plus ça va bien avec les mots « animation », « coordination », « travail en réseaux », et ça fait des résultats plus chatoyants, dans des bilans encore plus brillants !

Encore une fois, la menace est claire : si vous ne voulez pas disparaître au fond d’une agence, arrêtez d’agiter votre prétendue indépendance pour aller contrôler les heures supp’, les échafaudages les délits d’entrave, et faites vos chiffres et vos fi-fiches sur les grues, les CMR, l’intérim, comme on vous le demande. Pour être libres, obéissez.

L’indépendance est mère de tous les vices

Unanimité, pour ne pas dire uniformité, des intervenants INTEFP sur le sujet. L’indépendance n’est pas celle que vous croyez ! Allez donc voir dans la convention de l’OIT ! C’est quoi, l’indépendance, selon eux ? La liberté de mettre ou de ne pas mettre un PV. Mettre ou ne pas mettre… telle est la question. C’est d’ailleurs en ce sens que se prononcera le futur Conseil National de l’Inspection du Travail, nous disent-ils. A quoi bon le constituer si les réponses sont connues d’avance ? Bien sûr, il y a des propos sur lesquels on peut tomber d’accord : l’indépendance, ce n’est ni se comporter comme une profession libérale, ni oublier que les fonctionnaires rendent des comptes à leur hiérarchie, ce n’est pas non plus la liberté de s’abstenir de faire une enquête d’AT mortel fatigante… mais ces comportements ne justifient en aucun cas que l’on réduise la notion à la liberté de rédaction d’un PV… C’est pourtant ce que l’on nous assène avec le plus grand naturel, comme si entre ces deux caricatures d’indépendance, il fallait absolument choisir la moins pire, sans plus y réfléchir…


Article publié le 2008